Rhapsodie pour les disparus

​​Jad Orphée Chami, ancien résident et boursier de la MEC, a présenté la troisième ébauche de sa recherche-création à la Maison des étudiants canadiens dans une performance qui réunit projections audiovisuelles, expérimentations musicales et théâtralité.

Compositeur et pianiste, Jad ne pouvait pas laisser de côté ses compositions qui accompagnent toute la création jusqu’au moment culminant, où il s’assied devant le piano et joue l’un des morceaux qui entrecoupent son récit. La musique et le discours chargés d’émotion donnent voix à son père et à ses souvenirs d’enfance, où les bombes de la guerre au Liban étaient un paysage sonore quotidien.

Les souvenirs et les différentes projections, notamment d’un reportage sur le massacre des camps de Sabra et Chatila, touchent à un sujet presque central de sa performance : les disparus de guerre. Si surmonter la mort d’un proche est déjà difficile, surmonter la disparition est presque impossible. On ne peut pas traverser la période de deuil et se remémorer de souvenirs car le deuil et les souvenirs donnent lieu à l’attente éternelle. 

La dramaturgie est construite autour de certains événements de l’histoire du Liban : la guerre civile et ses disparus, l’explosion du 4 août 2020 à Beyrouth et les manifestations populaires de 2019 (où Malaka Alaywe est devenu un symbole de la révolte du peuple après avoir infligé un coup de pied à un garde du corps du ministre de l’Éducation Nationale).

Ces événements historiques, cependant, sont présentés d’une façon particulière : à partir du regard de Jad lui-même, qui raconte ces histoires selon ses souvenirs et de ceux qu’il a pu réunir grâce à ses conversations avec sa famille. Les récits permettent même de rendre présents ceux qui ne sont plus là, comme sa grand-mère, qui lui raconte ses souvenirs en arabe dans un enregistrement touchant même pour ceux qui ne parlent pas la langue. Il ne faut pas parler arabe pour comprendre la sonorité et la puissance de l’expression orale de ceux qui ont vécu la douleur et la joie. 

Nous sommes ravis d’avoir accueilli cette création à la Maison des étudiants canadiens, mais surtout d’avoir eu parmi nous un artiste si sensible, pour qui l’art joue un rôle de reconstitution des souvenirs perdus et des douleurs de la guerre (ancienne ou moderne) qui contrastent avec la poétique de la vie (celle qui insiste à se faire présente malgré la lamentation).

Texte par Isabella Senise